Elle a l'air de bonne foi, cette dame qui brandit sa canipelle sous le nez de Fabrice Couché, inspecteur en civil de la Mairie de Paris. «Vous voyez bien que j'ai ma canipelle et un sac plastique, c'est bien que j'allais ramasser, non ?» piaille-t-elle. «Ah, mais vous vous êtes éloignée de la déjection, je suis obligé de vous verbaliser», réplique l'inspecteur. «Mais enfin, il y a plein de gens qui font faire caca à leur chien n'importe où, alors que moi, j'ai ma canipelle, vous n'êtes pas juste», poursuit la dame, PV en main, en s'éloignant, furax, sur le boulevard Malesherbes.
Il est 6 h 45 du matin et voilà que le coéquipier de Fabrice, Alain Lacroux, en costard cravate, part en chasse rue Cernuschi. Un sac poubelle est abandonné sur le trottoir. On l'ouvre. Il est plein de feuilles mortes : «pas de lettres, pas d'adresses, on peut rien faire», se désole Alain. «Sinon, on aurait envoyé un courrier pour prévenir qu'il s'agit d'une infraction : tout doit être dans des bacs roulants verts», commente Fabrice. Tous deux anciens chefs d'équipe en collecte d'ordures «On commandait les petits hommes verts» , ils ont suivi une formation d'une semaine pour devenir l'un des 90 inspecteurs en civil de la Ville de Paris. C'est dire s'ils connaissent la question. Leur mission : verbaliser ceux qui urinent dans la rue, les cracheurs, les maîtres de chien qui ne ramassent pas le caca, les incivils qui déposent leur sac poubelle sur le trottoir, etc.
Pigeons. Toujours à l'affût, Alain fond sur un chien. Fausse alerte. Alors, on repart traquer l'incivilité plus loin, dans le XVIIe arrondissement. «Ah, un chien», commente Fabrice en s'approchant. Non, ce sont des pigeons, «on verbalise aussi les gens qui nourrissent les pigeons, c'est un fléau». On flâne, on avise une planche contre un arbre, «ça, plus une déjection, et ça fait un trottoir épouvantable», s'agace Fabrice qui éteint sa cigarette dans le caniveau avant de la jeter dans une poubelle. «Les mégots et les crachats, nous, on les fait pas, on a trop à faire. Mais certains collègues les font.» Avenue Wagram, c'est la folie. La police est aux prises avec un ami de Jésus qui dénonce la société pourrie, un chien est en train de faire sur une grille d'arbre, et la gardienne d'un immeuble dépose devant le bac vert un sac poubelle, faute de place dedans. La malheureuse se retrouve aux prises avec Fabrice tandis qu'Alain traite le chien et son maître. «Ah ben, c'est pas de chance, dit ce dernier, compréhensif. D'habitude, je ramasse toujours, mais là, sous la grille, c'est difficile.» «C'est vrai, admet Alain, mais vous devez lui faire faire dans le caniveau. Je vais vous demander votre identité, monsieur.» Le monsieur décline, avant de s'enquérir : «Et ça va chercher dans les combien ? Ah, jusqu'à 480 euros, quand même.» «Vous recevrez votre convocation au tribunal dans quelques mois», annonce Alain.
«Connard». Pendant ce temps, la gardienne se promet de dénoncer tout le boulevard qui laisse ses sacs poubelle sur le trottoir. Intraitable, Fabrice lui rappelle qu'elle est une «professionnelle»... et donc pas censée ignorer la loi. Pas plus que la vieille dame qui passe avec son Piou-Piou, observée de près par les inspecteurs : «Oui, on verbalise aussi les personnes âgées, rigole Fabrice. Si elle peut se baisser pour ramasser une cuillère chez elle, elle peut ramasser la crotte.» Et la femme enceinte qui ne peut pas se retenir d'un petit pipi entre deux voitures ? Une prune. Les SDF ? «On les verbalise quand ils urinent, pour marquer le coup, mais le plus souvent, on les laisse tranquilles.» A ce propos, Fabrice, qui vient de dire, un peu en plaisantant, à un homme assis par terre que le sac plastique, là, ne doit pas traîner sur le trottoir, s'entend répondre : «Qui t'es toi, connard.» Hélas, «une insulte qu'on entend souvent», soupire l'inspecteur. Plus tard, le gérant d'un magasin d'huile d'olive qui a laissé une palette traîner vocifère : «C'est un monde, ça, d'empêcher les gens de travailler.»
Petite gratification rue de Prony, les deux inspecteurs sont contents, les cartons sont bien dans les bacs, la rue est impeccable. «Au moins ça a servi à quelque chose, nos précédentes visites.» Ah, un sac poubelle dans une rue adjacente. Alain la fouille, les mains gantées, exhume des masques hygiéniques et du courrier au nom d'un dentiste. Cela tombe bien, il y a un cabinet juste derrière. Vingt minutes plus tard, les dentistes reçoivent les deux inspecteurs. Et s'indignent de ce que la femme de ménage n'ait pas suivi leurs instructions. «Les gens qui ne suivent pas mes ordres n'ont rien à faire ici», dit l'un d'eux. «C'est très fréquent comme réaction, conclut Alain, on se justifie en accusant les autres.»
Libération 12/06/2005
L'idée de ses inspecteurs est bonne mais je suis contre le PV, par contre faire néttoyer toute les merdes de chiens du paté de maison, la je suis vraiment pour! Et si ses cochons refusent ont leurs fout la tronche dedans!